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Le maintien de la diversité culturelle liée aux approches sociétales de l’eau

Les différentes communications rassemblées dans cet ouvrage traduisent également une diversité culturelle fondamentale qui s’inscrit aussi bien dans la géographie des lieux que dans les divers temps historiques auxquels on se réfère. Les principaux champs de cette diversité méritent d’être soulignés :

1. L’idée d’une eau, patrimoine de l’humanité, porteuse d’une valeur universelle et inaliénable cohabite avec la notion d’une eau marchandisable. On pourrait dessiner un large spectre de positions intermédiaires entre ces deux conceptions.

2. Les appréhensions sectorielles et juxtaposées sont progressivement remplacées par des approches globalisées voire intégrées toujours associées à une projection dans le long terme. Au sein d’une vision systémique, les interactions retiennent davantage l’attention que les différents facteurs pris séparément.

3. Les divers degrés dans la participation et la responsabilité de chacun s’échelonnent d’un Homo erectus passif à un citoyen actif et responsable disposant des moyens de connaissance, de contrôle et d’action.

4. Des systèmes collectifs de distribution de l’eau associés à des moments forts de socialisation coexistent avec des systèmes individuels dans lequel l’eau est apportée ou prise à domicile au plus prêt du point de consommation.

5. Des sociétés qui font usage de toutes les formes d’eau rencontrées et celles qui les hiérarchisent, voire en rejettent certains. Longtemps, nos sociétés occidentales ont par exemple préféré prélever pour boire de l’eau dans des rivières qui ruissellent et s’aèrent plutôt que capter des eaux enfermées dans les entrailles de la terre

6. Les mille et une facettes d’une culture de l’eau confrontée à la notion de propre et sale. Une eau claire a longtemps été considérée comme propre et au contraire une eau simplement boueuse rejetée car trop sale. Les découvertes de Pasteur au XIXe ouvrent l’ère d’une profonde mutation dans cette manière de considérer l’eau

7. Enfin, la pluralité des cultures techniques a longtemps été un facteur dominant de diversité. Multiforme, l’eau mobilise en effet tout un ensemble de méthodes d’acquisition, de protection, de circulation… d’une extrême variété bien reflétée dans les nombreux exemples développés sur ce site Internet. Ces dissemblances pourraient être approfondies par deux démarches complémentaires. La première s’efforce de mettre en valeur des lignées en identifiant des procédés qui remplissent la même fonction à partir de mêmes principes, par améliorations successives. La seconde regroupe les façons de faire en familles techniques, chacune remplissant une fonction selon un procédé différent.

Prenons l’exemple du transport de l’eau :

 Une femme porte de l’eau sur la tête dans une cruche et doit faire plusieurs voyages pour satisfaire les besoins de sa famille. Techniquement, nous avons là une translation discontinue (plusieurs voyages) opérée par un agent extérieur (la femme) qui mobilise une énergie secondaire (son énergie musculaire) et un récipient. Si vous remplacez cette personne par un animal, puis par un camion citerne, vous ne modifiez pas les paramètres techniques fondamentaux de la situation, tout en changeant fondamentalement ses aspects sociaux. Ces divers procédés constituent une lignée.

 Si vous déplacez maintenant l’eau dans une canalisation, vous créez une translation continue grâce à la force gravitaire dans un contenant ouvert (canal d’irrigation avec vannes) ou fermé (tuyau avec robinets). Le camion qui porte l’eau et le tuyau qui lui permet de s’écouler appartiennent ainsi à deux familles distinctes. A côté de ces tendances à l’uniformisation la technique maintient également un fort coefficient de différenciation pour tous les projets de haute technologie financièrement très coûteux. Un petit nombre de pays peut s’engager sur cette voie. L’eau, ses ambiguïtés, ses références plurielles, des enjeux fondamentaux pour demain Les stratégies émergentes d’une nouvelle gestion de l’eau visent donc à répondre aux défis économiques et sociaux d’un monde dont les mutations n’ont jamais été aussi profondes dans un temps historique aussi bref. Elles s’appuient sur l’approfondissement de la connaissance aussi bien dans son volet des sciences dites habituellement dures que dans celui de l’anthropologie sociale. Les apports de cette discipline sont devenus incontournables depuis la prise de conscience de l’impact des modes de gestion sur la résolution de la question hydrique. Cela s’est avéré d’autant plus nécessaire que de nouveaux acteurs ont fait leur apparition augmentant la complexité du champ social de partenaires à gérer. La Déclaration ministérielle faite lors du 3e Forum de l’eau reconnaît : « Sans comprendre et étudier les aspects culturels des problèmes liés à l’eau, il sera impossible de parvenir à une solution durable ». Simple marchandise, bien commun inaliénable, patrimoine de l’humanité, … le statut de l’eau est en débat permanent. Les révoltes contre les politiques imposées de répartitions et d’usages de l’eau, la remise en cause de la capture du marché par quelques grands groupes internationaux participent à la définition de la nouvelle culture de l’eau. A ce titre, en Europe, protestant contre un programme de constructions de barrages hydrauliques financés par l’Union européenne, la Marche bleue pour une nouvelle culture de l’eau est apparue comme un symbole. Celle-ci s’est déroulée en 2001 et a conduit les protestataires du delta de l’Ebre et capitale belge, en un mois. Parallèlement, les évolutions de la politique de Bruxelles témoignent elles aussi de cette mutation culturelle autour des questions de l’eau. En effet, pendant la première période de son histoire hydrique, l’Europe a laissé à ses états la responsabilité des politiques dans ce secteur. Valorisant la responsabilité publique, Bruxelles s’est contenté d’élaborer des normes contraignantes concernant la qualité des eaux et l’efficacité des processus d’assainissement. Depuis environ 25 ans, un glissement s’est produit vers un intérêt pour les formes d’organisation du marché et la nécessaire libéralisation des systèmes. Aujourd’hui, la Commission travaille sur les privatisations accompagnées d’obligations quant aux normes de gestion et sur la formule des délégations de gestion de service public au secteur privé. Bien des approches ont donc abandonné l’idée de dominer la « nature » par le biais de sciences et de techniques conquérantes. Dans de nombreux discours et écrits, on cherche à reconnaître la complexité des milieux pour les intégrer dans une perspective de développement soutenable. Dans ce processus culturel complexe, l’eau tient une place de choix. Une nouvelle culture est en cours d’élaboration. Elle repose sur des prises de conscience, des remises en cause, des contestations… bref sur la vie.

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