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Article paru dans le Monde 18.03.16 de Y. Laurans, directeur du prog. biodiversité IDDRI et membre Académie de l’Eau « Financement de la biodiversité par la facture d’eau : une solution pragmatique ? »

Le projet de loi sur la biodiversité, qui vient d’être voté par l’Assemblée nationale, a été mis en chantier dans un contexte de poursuite, voire d’accélération de la perte de biodiversité dans le monde. Il reste ainsi capital qu’en parallèle des initiatives prises pour la transition énergétique, la France mette à jour et renforce sa politique de biodiversité.
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Étrangement, les dispositions concernant le financement de cette loi n’ont pas fait couler beaucoup d’encre, contrairement à d’autres, comme celles liées à la compensation. Elles sont pourtant cruciales pour l’avenir de la politique de biodiversité. Dans leur très grande majorité en effet, les financements de cette politique proviendront de la facture d’eau potable et d’assainissement des ménages et des entreprises, car ce sont les agences de l’eau qui financeront principalement la future Agence française de la biodiversité.


Ces agences financent en effet presque intégralement le budget de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (l’Onema), qui fournira 60 % du budget de la future agence de la biodiversité et les trois quarts de son personnel d’intervention. Enfin, au-delà des moyens de fonctionnement de l’agence de la biodiversité, l’essentiel des moyens publics qui seront investis pour soutenir la conservation de la biodiversité terrestre aussi bien qu’aquatique, proviendra des agences de l’eau.


Prélèvement proportionnel à la consommation
Ainsi, demain, le financement de la conservation d’une forêt, d’une pelouse sèche, d’une tourbière d’altitude ou de la lutte contre une espèce d’arbre invasive sera alimenté par un prélèvement proportionnel à notre consommation d’eau. Ces dispositions de la loi attirent relativement peu l’attention et ne semblent pas susciter le débat. S’agit-il d’une spécificité française, mais surtout, d’un financement juste et efficace ?


Ce mécanisme n’est en réalité pas très exceptionnel. La grande majorité des dispositifs qui tentent de compenser la baisse des budgets gouvernementaux pour la biodiversité dans le monde sont en fait financés par deux secteurs économiques, qui sont à la fois intéressés par la préservation de la nature et relativement « solvables » : le tourisme et les services municipaux d’eau potable. Le premier, parce que le paysage et les animaux emblématiques sont pour lui une ressource économique essentielle, les seconds, parce qu’ils prélèvent l’eau brute dans un environnement qu’ils ont donc intérêt à préserver un minimum.


On ne peut par ailleurs nier à ces dispositions un certain pragmatisme. Dans un contexte tendu de réduction des déficits publics, le budget d’intervention du ministère de l’environnement français a peu de chance d’augmenter significativement ces prochaines années. Les agences de l’eau sont, quant à elles, des dispositifs rôdés pour financer de nombreux dossiers techniques, et les alternatives pour financer la biodiversité ne sont pas légion.


Des interrogations
Cette organisation soulève cependant quelques interrogations et doit nous appeler à une certaine vigilance. Sur le plan des principes politiques d’abord, la redevance que nous payons via notre facture d’eau n’est pas un impôt proportionnel à nos moyens, mais… à notre consommation d’eau. Le décile le plus pauvre de la population contribuera donc de la même manière au financement des politiques de la nature que le décile le plus riche, et ce à proportion de sa consommation d’eau potable, qui n’a qu’un très lointain rapport avec la situation de la biodiversité. C’est probablement, de manière assez classique, l’invisibilité politique de la dépense qui est recherchée, sachant que les sommes en jeu pour la conservation de la biodiversité terrestre sont aujourd’hui négligeables par rapport à celles utilisées pour l’eau potable et l’assainissement des villes et des entreprises (respectivement moins de 100 millions d’euros aujourd’hui pris en charge par l’Etat, contre environ 2 milliards par an de subventions par les agences de l’eau).


Par ailleurs, intégrer le financement de la biodiversité à celui de l’eau crée le risque de diriger les financements principalement vers les écosystèmes qui sont utiles à la gestion de l’eau : ceux qui sont bien connectés aux nappes d’eau potable, aux plages et aux champs d’inondation. Faute de cela, les contributeurs financiers, représentés dans les comités de bassin, pourraient s’opposer à ce qui serait pour eux un détournement de l’intention première des redevances et des factures d’eau. Les espaces qui ne sont pas « utiles » pour l’eau pourraient donc recevoir moins d’attention… et de financements. Ce dispositif ne fonctionnera que si, non seulement les agences de l’eau, mais aussi les comités de bassin, sont au moins partiellement « biodiversifiés ».


Aujourd’hui, l’équilibre des instances qui attribuent les financements des agences de l’eau est encore dominé par les collectivités locales — qui y représentent principalement l’intérêt des consommateurs d’eau — par les industriels utilisateurs d’eau, et par les agriculteurs, qui y représentent de fortes minorités de blocage. Des efforts ont été faits au niveau des agences et de leurs commissions pour modifier ces équilibres, mais sans modifier le comité de bassin en proportion. Et, bien entendu, le principe d’une représentation de ceux qui contribuent financièrement au système est essentiel : c’est ce qui fait son intérêt politique. Pour ces raisons, la création d’une redevance spécifique pour asseoir la légitimité des financements pour la biodiversité sera essentielle, quitte à réduire proportionnellement les redevances pour l’eau potable et l’assainissement. L’enjeu demain sera de (re) composer ce dispositif en maintenant son efficacité, mais aussi en garantissant une politique de biodiversité équilibrée.

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