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Eau et culture, un couple vital

« S’il n’est qu’une seule planète, il est en revanche de multiples façons de l’habiter. Et cette diversité n’est pas seulement économique : dans chaque aire de peuplement existe une sensibilité à la nature et à l’eau particulière et dominante ». Pour une part, ces sensibilités, ont elles-mêmes été façonnées par les grandes religions ; elles se sont également enrichies, au cours du temps, des grands courants philosophiques et des différentes visions du monde qu’ils ont développés. (D. Bourg : « Les sentiments de la Nature »).

L’eau appartient à la Nature, au monde sensible, au milieu physique où habite lui-même l’homme. Elle existe et circule avant et après les transformations que celui-ci opère pour façonner ses conditions de vie.

A cette nature, on oppose souvent le concept de culture, ou encore de civilisation, qui englobe l’ensemble des phénomènes sociaux: coutumes et traditions, croyances et religions, idées et mentalités, moeurs et comportements, institutions, arts, sciences et techniques, etc…

Nous entendons par culture à la fois l’ensemble des connaissances  acquises, le savoir, l’instruction des individus ; mais aussi l’ensemble des structures sociales et institutionnelles, des manifestations intellectuelles artistiques, des valeurs normatives et des croyances… qui caractérisent une société. Les cultures des sociétés humaines ne sont ni universelles au travers l’espace, ni invariables dans le temps. Elles varient, d’une région à l’autre, et évoluent au cours du temps: elles sont liées à la géographie et possèdent une histoire.

On admettra avec le philosophe français MERLEAU-PONTY que « tout est fabriqué et tout est naturel chez l’Homme ». Le contexte culturel façonne dans une large mesure les orientations et le développement des aptitudes physiques et mentales de l’individu. Sa personnalité finale est donc, pour une grande part le fruit d’un véritable apprentissage, multiforme et permanent, opéré par son environnement culturel.

Selon le sociologue Claude LEVI-STRAUSS, on pourrait saisir le point de passage entre nature et culture en s’appuyant sur un double critère, celui de la norme et celui de l’universalité:  » tout ce qui est universel, chez l’homme, relève de l’ordre de la nature et se caractérise par la spontanéïté; tout ce qui est astreint à une norme appartient à la culture, et présente les attributs du relatif et du particulier.

La culture procède, dans une large mesure, de l’imagination créatrice de l’Homme, c’est-à-dire de ses facultés de représentation, d’invention, d’innovation. Pour le philosophe Gaston BACHELARD, l’imagination humaine est « la fonction du surréel », c’est à dire une forme d’évasion en dehors et au-delà des vérités communément admises qu’elle n’hésite pas à remettre en question: elle est ainsi prospectice et anticipante. Elle est la faculté de modifier les clichés habituels fournis par la perception, de se libérer des images premières et de les changer. Elle est une puissance foncièrement dynamique et organisatrice. Elle est l’expérience de l’ouverture, l’expérience de la nouveauté, l’expérience de l’invention.

Les sciences humaines sont traversées par des courants parfois contradictoires qui, selon que l’on considère l’homme comme un objet ou comme un sujet, visent à l’expliquer ou à le  comprendre.Alors que les sciences physiques se bornent à expliquer les phénomènes par les lois qui les régisssent, nullement à leur découvrir un sens, en revanche les sciences humaines s’efforcent non seulement d’expliquer, mais aussi de comprendre les phénomènes humains, c’est-à-dire d’en dégager le sens.

Il ne peut y avoir d’action mécanique de facteurs matériels de l’environnement sur l’homme que dans la mesure où celui-ci leur donne une signification en les intégrant à son univers mental. De plus, il n’est pas possible d’abstraire un « fait de conscience » vécu par un individu de la situation d’ensemble de cet individu, ni d’abstraire cette situation d’ensemble de son contexte social, géographique et historique.

Tout comme la culture, l’eau touche intimement aux sensibilités, aux représentations et aux mentalités qui fondent les sentiments d’identité individuelle et collective, et qui constituent à la fois une source de conflits potentiels, mais aussi un puissant facteur de solidarité, donc de cohésion sociale et territoriale.

L’eau comme la culture sont des « liants » – concret pour le premier, immatériel pour le second – qui solidarisent entre eux tous les membres d’une société humaine.

Le comportement de l’homme se définit comme la source de ses réactions à des stimuli externes ou internes : certaines de ces réactions relèvent intégralement de sa nature ou personnalité, d’autres de sa culture ; la distinction entre les unes et les autres étant malaisée.

Il est évident que la culture conditionne pour une grande part les orientations et le développement des aptitudes des individus : la personnalité est en effet dans une large mesure le produit de l’apprentissage qui est lui-même déterminé et contrôlé par la culture. Ainsi les capacités physiques, intellectuelles, artistiques, … sont-elles fortement influencées par le milieu social.

Chaque culture représente un ensemble complexe d’adaptations à des conditions géographiques et historiques données où l’eau, vitale, a une place importante. Celle-ci apporte des réponses adaptées aux besoins fondamentaux de  l’homme. Chaque culture correspond ainsi à des exigences et à des projets spécifiques qui agissent de façon différente sur le comportement des hommes, notamment vis-à-vis de l’eau.

C’est dans cette perspective que l’Académie de l’Eau s’est donné pour mission de mieux comprendre les relations entre l’homme et l’eau ainsi que l’influence de la culture sur les comportements des citoyens vis-à-vis de l’eau.

Il apparaît en effet qu’une gestion moderne et efficace de l’eau ne peut se faire sans la participation des usagers. Cette gestion les concerne pour assurer leur qualité de vie dans une nature préservée.

Parallèlement à une information et à une éducation à la gestion de l’eau, les décideurs et leurs experts doivent être à l’écoute et connaître le comportement des citoyens vis-à-vis de l’eau en fonction de leurs cultures afin de pouvoir les associer utilement à une gestion commune et à une bonne gouvernance. Ce site Internet se propose de fournir aux gestionnaires de l’eau et de son assainissement conseils et recommandations pour une telle concertation.

Tout au long des travaux consacrés depuis quelques années au thème « l’eau et la diversité culturelle », chacun a pu prendre conscience des relations profondes et complexes que l’homme entretient avec l’eau. Chacun a pu mesurer l’influence de la culture sur le comportement des citoyens et des usagers vis-à-vis de l’eau. C’est par leur implication directe que cette ressource précieuse, tant pour l’homme que pour son environnement, pourra être préservée et rendue disponible pour tous.

Il apparaît clairement que la gestion de l’eau, comme son utilisation, dépendent du contexte culturel autant que de la ressource elle-même. La dimension culturelle est fondamentale puisqu’elle conditionne nos mentalités, nos attitudes et nos comportements. Par ailleurs, la participation plus large et plus active des usagers aux processus décisionnels requiert de la part de chacun une bonne compréhension des liens profonds et complexes qui unissent l’homme à l’eau.

L’objectif est donc d’analyser et de comprendre la relation et le comportement des divers usagers vis-à-vis de l’eau afin de mieux les écouter pour gérer l’eau en fonction de leurs souhaits.

Il faut prendre en considération leurs réactions compte tenu de leurs racines et de leurs cultures, très liées aux conditions géographiques et historiques ainsi qu’à la religion, même si celle-ci n’est plus pratiquée. Leur diversité culturelle doit être respectée ainsi que le préconise l’UNESCO : c’est une richesse pour tous et un gage de succès pour une gestion de l’eau correspondant aux besoins et aux traditions des intéressés. Toute velléité de hiérarchisation des cultures, toute tentative d’unification serait vaine. Chacune correspond à l’identité d’un groupe d’individus et aux conditions locales infiniment diverses. C’est à la gestion de l’eau de s’y adapter pour être durablement efficace, et non pas le contraire.

Cette écoute doit permettre de connaître le sentiment des citoyens sur des points importants de cette gestion, tels que la protection de l’environnement, le droit à l’eau, la solidarité entre riches et pauvres, la façon de surmonter les risques de l’eau pour la santé…

Une bonne connaissance de tous ces points permettra alors de mettre en place :

 les meilleures formes de concertation compte tenu des diverses cultures,

 la façon de diffuser des informations non partisanes sur l’eau aux usagers,

 l’adaptation de l’éducation à l’eau aux citoyens de chaque culture,

 …et finalement, une « nouvelle stratégie de gestion de l’eau ».

L’Académie de l’Eau espère qu’en rassemblant, dans ce site Internet, des informations et des références de nature très diverses, liées à des expériences de terrain, ainsi que des recommandations et conseils sur la concertation avec les usagers, elle contribue à une gestion de l’eau aussi respectueuse que possible de l’environnement humain. Ce site est destiné à être enrichi et complété en permanence, à l’initiative des ses utilisateurs. Nous espérons que son contenu propose des enseignements valables hors de nos frontières. Il comporte une proportion importante de « cas de terrain » établis à partir d’expéricences menées dans les pays du Sud, mais nous ne dissimulons pas que, conçu et rédigé par des français, il constitue le reflet d’approches et de schémas culturels français, du moins occidentaux. Nous devrons donc nous efforcer, au fur et à mesure, de mieux en compte les environnements et contextes spécifiques des pays en développement.

Auteurs: Bernadette de Vanssay, Jean-Louis Oliver, François Valiron

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